Les béals : un présent pour quel futur ?

Les canaux d’irrigation par gravité ont été construits dans un autre temps, au contexte et aux enjeux différents. Assurant la prospérité agricole de la vallée, ils ont contribué à façonner le paysage et ont favorisé le développement d’une faune et d’une flore spécifiques. Les canaux ont aussi forgé l’entraide entre les habitants et développé les liens sociaux.

Par leur aspect identitaire, patrimonial ou écologique, ces canaux apportent encore beaucoup à la vallée et à la commune de Ste-Marguerite-Lafigère, située au Sud-Ouest du Parc des Monts d’Ardèche. Mais face à des difficultés conséquentes, la question de l’intérêt de leur maintien et de leur valorisation se pose. Dans le contexte actuel, entre changement climatique et déprise agricole, on s’interroge sur l’orientation qu’il faut donner à ces canaux.

Ces dernières années, les béals de Ste-Marguerite-Lafigère ont fait l’objet de plusieurs études, par des stagiaires de l’association Besaou et Patrimoine ou du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche. Ils se sont interrogés sur les problématiques énoncées plus haut. La présente page présente des éléments de ces rapports.

Les canaux aux fonctions plurielles

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Source : Besaou et Patrimoine

La fonction agricole a motivé la construction des canaux. L’adduction d’eau gravitaire, a permit à l’agriculture, de connaître un essor considérable. L’activité agricole est aujourd’hui faible sur la commune mais trois agriculteurs se servent encore des canaux comme moyen d’irrigation, sans lesquels leur activité castagnéicole serait à ré-envisager.

La fonction écologique de ces canaux est incontestable : les fuites par les côtés et l’infiltration par le fond en terre des canaux permettent le développement d’une flore et faune de milieu humide. Aulnes, saules et bouleaux se développent ainsi sur des versants dont le climat sec devrait empêcher la pousse. Dans leur partie amont, les canaux créent un habitat spécifique (eau plus chaude et plus calme que le cours d’eau principal, présence de galets apportés par les crues) favorable aux poissons de rivière.

Les béals font tampon aux crues secondaires et aux étiages : ils laminent les débits en dérivant l’eau des cours d’eau, et ils participent au rechargement des nappes par infiltration de l’eau qui y circule. Leur impact en terme de prélèvement de la ressource est faible : le surplus d’eau est rejeté dans la rivière et les eaux d’infiltration y retournent aussi après leur trajet dans le sol.

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Le tracé de l’ancien canal de Lamouroux - à flanc de montagne
Source : Besaou et Patrimoine

La fonction patrimoniale est aujourd’hui aussi importante : les canaux participent grandement à l’identité du territoire. Associés aux terrasses, ils sont un élément fort du paysage, construits en réponse à la spécificité topographique de la région. Leur situation (construits dans un relief accidenté), l’ampleur des réalisations et les points de vue qu’ils offrent les rendent exceptionnels.
Les études montrent que les béals ont une forte valeur sentimentale pour les habitants de la vallée qui soulignent l’importance de les maintenir en état, en respect au travail effectué par leurs ainés.

La fonction sociologique enfin est à mentionner. L’utilisation et la préservation des canaux sont des moteurs relationnels forts entre les habitants de la commune de Ste-Marguerite-Lafigère. Ils font l’objet de discussions autour des enjeux actuels et à venir qu’ils représentent, ils sont un prétexte pour le rassemblement et l’échange notamment lors d’actions d’entretien ou de restauration.

Les multiples difficultés des canaux

Les difficultés pour garder les canaux en eau ont toujours existé. Mais différents facteurs les rendent aujourd’hui plus importantes.

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Source : Besaou et Patrimoine

Les dégradations naturelles ont toujours fait partie de la vie des canaux (crues, glissements de terrain, détérioration par les racines, usure de la construction). Elles sont aujourd’hui doublées des dégâts causés par les sangliers : il y a une vingtaine d’années, une espèce hybride a été introduite pour la chasse. Aujourd’hui ils pullulent et détruisent rapidement les canaux. Des solutions spécifiques d’entretien et de reconstruction doivent être envisagées (du grillage à poule et des traverses en bois prélevé sur place ou des barres de métal sur les berges ensuite revégétalisées etc).

Le manque de moyens humains renforce les problèmes liés aux dégradations naturelles. La déprise agricole a conduit à une diminution importante des agriculteurs utilisant les canaux. S’ils étaient parfois quarante propriétaires pour un canal, ils ne sont aujourd’hui plus que trois sur la commune. La mobilisation bénévole des habitants n’utilisant pas forcément les canaux est forte mais plus irrégulière.

Les difficultés techniques et financières s’ajoutent à cela. La situation des canaux dans des pentes escarpées, et au milieu des forêts ne permet pas la mécanisation des tâches de réparation : on a pensé apporter les matériaux à dos d’âne ! Le temps de travail est alors considérable et les efforts à fournir assez peu en phase avec notre époque. Le financement est aussi important et ne peut pas être assuré par les agriculteurs seuls. La commune emploie un cantonnier à mi-temps mais les subventions extérieures et le travail des bénévoles de l’association Besaou et Patrimoine restent essentiels à Ste-Marguerite.

Des potentialités variées

Lorsque l’on prend en compte les bénéfices qu’apportent les canaux ainsi que les difficultés rencontrées pour les conserver, regarder leur avenir est important. Le Parc des Monts d’Ardèche, sous la sollicitation locale, a mis en place un programme d’actions visant à « protéger et valoriser les canaux d’irrigation sur la commune de Sainte-Marguerite-Lafigère ». Les questionnements principaux qui émergent sont :

- La relève des agriculteurs est-elle assurée ? Ils fournissent l’essentiel du travail d’entretien et le maintien en eau des canaux et leur donne leur sens. Doit-on maintenir cette agriculture extensive de terrasses, même si, dans le contexte actuel, sa rentabilité économique au sens strict du terme n’est pas optimale. Doit-on conserver coûte que coûte ce système d’irrigation ?

- Quel type de gestion doit-on adopter ? Là-dessus l’Ardèche et la Lozère voisine diffèrent. La Lozère, qui possède plus de moyens, a professionnalisé l’entretien des béals : des employés communaux assurent cette tâche. Du côté de Sainte-Marguerite-Lafigère, on souhaite garder le côté collectif de l’entreprise. Le travail de chacun (agriculteurs, habitants, employé de mairie) se complète et est essentiel. Ce type de gestion donne son sens aux canaux.

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Source : Besaou et Patrimoine

- Quel type de réparations doit-on apporter ? Bétonner les bords réduit l’impact des sangliers, mais imperméabilise les canaux. Cela empêche le développement d’un milieu frais et verdoyant, ainsi que le rechargement des nappes. Mais la chasse au gaspillage de la ressource en eau est un enjeu actuel, mentionné dans la charte du Parc des Monts d’Ardèche et dans les objectifs du SAGE. Doit-on considérer les fuites comme le principal atout ou le principal défaut des canaux ?

- Quelle valorisation touristique engager ? En participant à la beauté du paysage, les canaux font partie du potentiel touristique de la région. Certains ne sont déjà plus en eau et leur transformation en sentier de randonnées est en cours. Créer un sentier d’interprétation de ces éléments du petit patrimoine hydraulique permettrait d’impulser un développement touristique à l’origine d’une dynamisation du territoire.

Quelle que soit l’issue de toutes ces interrogations, les canaux doivent être moteurs de développement rural. En se questionnant sur l’utilisation qui peut en être fait, ils soulèvent en réalité des problématiques plus larges d’aménagement, de développement et de gestion du territoire rural dans son ensemble.