L’eau partagée : l’exemple des béals

Dans les Cévennes Ardéchoises, l’agriculture n’est pas aisée. Les vallées sont encaissées, laissant peu de terrains plats disponibles, le sol est pauvre et l’eau manque souvent. De ces conditions austères sont nées une solide volonté de déjouer les difficultés, une ingéniosité aigüe et une solidarité renforcée des habitants. L’irrigation gravitaire pour alimenter les terrasses de culture, illustrait bien l’intérêt de mutualiser les efforts pour partager les réussites.
Sainte-Marguerite-Lafigère est un petit village de la partie aval de la vallée de la Borne, au Sud-Ouest de l’Ardèche. Ses béals ont assuré la cohésion sociale de la population et sont encore aujourd’hui vecteur de lien. Ici sont présentés ces éléments du petit patrimoine bâti, leur système de fonctionnement passé et actuel.

Les béals : canaux traditionnels d’irrigation gravitaire

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Les béals sont des petits canaux d’irrigation gravitaire. A l’origine bâtis en pierres sèches, leurs bords peuvent être aujourd’hui renforcés par des panneaux de bois ou de béton. Le fond du canal reste souvent en terre. Parfois le franchissement des ravins nécessite de petits aqueducs, construits en troncs de châtaigniers. Ils sont mis en eau d’avril à octobre.

Dans la partie amont des rivières, l’eau est détournée de la rivière au profit des canaux qui traversent à flanc de versant en suivant les courbes de niveau souvent sur plusieurs kilomètres. La très faible pente des béals permet de distribuer l’eau sur de nombreuses parcelles tout au long de son trajet. Pour répartir l’eau au mieux sur les parcelles de prairies, cultures maraîchères et châtaigneraies, des béalières étaient tracées. Ce sont de simples sillons dans le sol, prenant l’eau au béal et l’acheminant sur la parcelle.

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Schéma explicatif de la position des béals sur le versant
Source : T. Claudel

Grâce à ces canaux, les agriculteurs ardéchois ont pu mettre en valeur des terrasses éloignées des fonds de vallées et assurer leur prospérité. Mais cela a demandé une organisation rigoureuse.

info les béalières ont aussi été vecteurs des champignons responsables de la maladie la plus destructrice de l’économie locale : la maladie de l’encre des châtaigniers en 1875
info On retrouve ces canaux dans différentes régions. Ils peuvent porter des noms différents : en patois cévennol on parle de « Besaou », en Suisse de « Biffe » et dans les monts du Pilat de « Biefs »

Dès leur origine, une gestion collective

Les béals sont généralement des constructions collectives, distribuant l’eau sur la totalité des parcelles de versant. Dans la vallée de la borne comme ailleurs, la gestion communautaire de ces canaux a toujours existé mais dans celle-ci elle est devenu le système dominant au moment de la construction de très grands ouvrages dans la première moitié du XIXe. Les entreprises individuelles s’effacèrent presque entièrement. A cette époque, on pouvait compter parfois plus de 40 propriétaires associés pour la gestion d’un canal : en 1885, celui de « Lamourous » en comptait 70 !

Pour fixer les règles de leur accord, les propriétaires des parcelles riveraines étaient organisés en associations verbales ou en associations notariées. Les syndicats autorisés existent encore aujourd’hui. Ce mode d’organisation a certainement contribué à leur succès : en 1873 les habitants de Salelles, dans la haute vallée de la Borne, se sont vu refuser des subventions de l’Administration parce qu’ils n’étaient pas constitués en syndicat autorisé. Ils ont du abandonner la construction de leur ouvrage. Outre le côté purement financier, le facteur limitant a pu être d’ordre démographique, les densités de populations étant plus faible dans la partie haute de la vallée.

Le fonctionnement était le suivant : les 168 heures de la semaine étaient divisées entre les propriétaires de façon proportionnelle à la surface à arroser pour chacun d’eux. Chacun avait donc une plage horaire pendant laquelle il pouvait détourner l’eau du canal. Le temps de prélèvement autorisé prenait également en compte la localisation de la parcelle : celles en bout de canal pouvaient bénéficier d’un temps plus long puisque le débit était affaibli par les infiltrations progressives. De la même manière les charges d’entretien incombant à chacun étaient proportionnelles à la durée de son tour d’eau. Pour s’acquitter de leur part, les propriétaires pouvaient soit participer financièrement soit effectuer des journées sur le terrain.

info On appelle « technique » d’irrigation le moyen matériel uniquement tandis que le « système » d’irrigation est l’organisation juridique de la gestion de l’eau

Aujourd’hui encore, créateurs de lien social

De nombreux facteurs ont contribué à détériorer l’état des canaux : déprise agricole et exode rural en sont les principaux. Cependant trois sont encore en eau à Ste-M-Lafigère, qui participent grandement à l’identité collective. En 2005, l’Association Syndicale Autorisée (ASA) principale du village a tiré la sonnette d’alarme, demandant de l’aide pour pouvoir continuer à maintenir l’état des canaux. L’association Besaou et Patrimoine s’est créée à cette occasion.

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Source : Besaou et Patrimoine

Encore aujourd’hui les béals sont gérés collectivement :
- L’ASA gère les canaux
- La commune participe par subrogation : elle emploie une personne durant la période estivale de mise en eau pour l’entretien courant
- Les bénévoles de l’association aident à la restauration de parties endommagées, ainsi qu’au nettoyage au moment de la remise en eau

La nécessité de chacun des acteurs est avérée, les bénévoles ne pouvant dégager assez de temps pour s’occuper de l’entretien courant, et l’employé de mairie mentionnant qu’il ne pourrait pas conserver les canaux en eau sans les actions des bénévoles. Les journées d’actions sur les canaux sont surtout de beaux moments de convivialité, chacun pouvant rencontrer son voisin une pelle à la main.

En savoir + sur :
- les béals et leur gestion collective (voir l’article de Nicolas Jacob)
- Besaou et Patrimoine

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